Romain Lemaire Avocat

Le principe de prévention et de correction des atteintes environnementales


1. La reconnaissance du principe juridique de prévention et de correction des atteintes à l’environnement


Le principe de prévention des atteintes causées à l’environnement figure dans l’article 3 de la Charte de l’environnement de 2005, qui est adossée à la Constitution :


« toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences »


Le Conseil d’Etat a reconnu la valeur constitutionnelle de ce principe :


« que ces dernières dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, et à l'instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; qu'elles s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ; qu'il incombe en conséquence au législateur et, dans le cadre défini par la loi, au pouvoir réglementaire et aux autres autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes énoncés à l'article 3 de la Charte de l'environnement, les modalités de la mise en oeuvre des dispositions de cet article » (Conseil d'Etat, 12 juillet 2013, n°344522)

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000027697930/


C’est une obligation qui pèse sur les autorités publiques en charge de rédiger les normes juridiques.


Une des applications directes et explicites de l’article 3 de la Charte de l’environnement est l’interdiction par le Législateur de l’exploitation du pétrole par fracturation hydraulique des roches (gaz de schiste). Cette interdiction figure à l’article L. 111-13 du code minier :


« En application de la Charte de l'environnement de 2004 et du principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L.110-1 du code de l'environnement, la recherche et l'exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national. Sont également interdites sur le territoire national la recherche et l'exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de l'emploi de toute autre méthode conduisant à ce que la pression de pore soit supérieure à la pression lithostatique de la formation géologique, sauf pour des actions ponctuelles de maintenance opérationnelle ou de sécurité du puits ».

 

2.La mise en œuvre du principe et son application


Au titre des dispositions législatives venant appliquer le principe de prévention des atteintes à l’environnement, l’article L.110-1 du code de l'environnement définit et précise ce principe de la manière suivante :


« 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable.

Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit; à défaut, d'en réduire la portée; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées;

Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité »


Il s’agit du fondement juridique de la séquence que l’on nomme « ERC » pour les mesures destinées à éviter, réduire et, le cas échéant, compenser les atteintes aux espèces animales et végétales, aux habitats naturels et aux fonctions écologiques.


Précisons que la référence aux meilleures techniques disponibles (MTD) correspond à un ensemble de mesures reconnues comme pertinentes pour un secteur d’activité et qui guidera l’instruction des demandes d’autorisations environnementales de projets industriels relevant de la législation ICPE et IED.

 

La nécessité d’éviter et de réduire les impacts à l’environnement doit guider l’action de l’Administration, ce qui n’est pas sans générer un contentieux fourni, tant concernant les projets en développement que les documents de planification préparés par les autorités publiques.


Pour un exemple très récent, relatif au refus d’autorisation opposé par le Préfet des Deux-Sèvres à une demande d'autorisation environnementale portant sur la construction d'éoliennes, la Cour administrative de Bordeaux a validé le refus de l’Administration.


au regard l’impact tiré de la saturation visuelle cumulée avec les autres parcs éoliens existants :


"l’absence d’élément permettant d’estimer que la configuration des lieux, par la présence de filtres visuels, réduirait significativement l’effet de saturation, le préfet des Deux-Sèvres a pu légalement estimer que l’implantation du projet, cumulée avec les autres parcs existants et les projets à prendre en compte, serait de nature à favoriser un phénomène de saturation visuelle pour les habitants de Saint-Généroux, portant ainsi atteinte aux intérêts visés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, sans que des prescriptions permettent d’éviter de telles atteintes."


Mais a également pris en compte l’insuffisance des mesures d’évitement et de réduction vis-à-vis d’une espèce d’oiseaux le busard cendré :

 

« au vu de la particulière sensibilité de la zone d’implantation du projet sur le busard cendré, au cœur d’une zone de reproduction de cette espèce et de la présence certaine de l’espèce, il résulte de l’instruction que les mesures d’évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire ne limitent pas suffisamment le risque, notamment de collision, pour cette espèce au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, le dispositif de détection n’étant ainsi prévu que pour six des dix éoliennes et apparaissant peu efficace pour éviter le risque de collision avec les jeunes spécimens, enjeux forts de conservation de l’espèce. Dans ces conditions, et dès lors qu’il résulte de ce qui précède que le risque que le projet comporte pour cette espèce protégée est suffisamment caractérisé, c’est à bon droit que le préfet des Deux-Sèvres a fondé son refus sur le motif tiré de l’absence de présentation par le pétitionnaire d’une demande de dérogation aux « espèces protégées » au titre des dispositions précitées du 4° de l’article L.411-2 du code de l’environnement ».


CAA Bordeaux, 5e ch., 31 mai 2023, n° 20BX02053


https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047625022?init=true&page=1&query=20BX02053&searchField=ALL&tab_selection=all


La reconnaissance ou non d’un risque caractérisé pour l’espèce protégée concernée renvoie à l’avis rendu par le Conseil d’Etat en décembre 2022 concernant les conditions dans lesquelles une dérogation prévue l’article L.411-2 du code de l’environnement doit être sollicitée et obtenue.

Au-delà des espèces protégées, qui font l’objet d’une protection juridique, l’obligation de préserver l’environnement s’impose également aux milieux écologiques « normaux » et à la biodiversité « normale », ce qui est évidemment bien plus compliqué à mettre en œuvre.


A cet égard, la faiblesse de la protection des arbres et des haies dans le cadre de projets d’aménagement est souvent révélée dès lors qu’aucune protection juridique (espace boisé classé notamment) n’a été mise en œuvre.

Lorsque les mesures d’évitement et de réduction ne suffisent pas à empêcher tout impact sur l’environnement, des mesures de compensations doivent être prévues.


A ce sujet, l’article L.163-1 du code de l’environnement prévoit que

 « I. — Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité sont les mesures prévues au 2° du II de l'article L.110-1 et rendues obligatoires par un texte législatif ou réglementaire pour compenser, dans le respect de leur équivalence écologique, les atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d'un projet de travaux ou d'ouvrage ou par la réalisation d'activités ou l'exécution d'un plan, d'un schéma, d'un programme ou d'un autre document de planification.

 Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d'évitement et de réduction. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n'est pas autorisé en l'état. »


Cette obligation de résultat demeure pendant toute la durée des atteintes.


La jurisprudence a très récemment considéré que le bénéficiaire de l’autorisation et de l’obligation de compensation attaché est responsable de la destruction des terrains, même si c’est un tiers est intervenu et les terrains font l’objet d’une convention de gestion avec une Conservatoire d’espaces naturels


« 8. La société Engie conteste l’existence d’un manquement en faisant valoir qu’elle a respecté l’ensemble des obligations, quantitatives et qualitatives, prescrites par les arrêtés préfectoraux des 24 octobre 2015 et 7 octobre 2016. Toutefois, la circonstance que cette société a alloué une surface de 22, 99 hectares aux mesures de compensation, supérieure à la surface minimale de 20 hectares prévue par l’arrêté du 7 octobre 2016 est sans incidence sur l’existence du manquement qui lui est reproché, résultant du constat de la destruction effective des terrains dont elle assurait la gestion au titre de la compensation. Par ailleurs, les circonstances que l’origine de la destruction est imputable à un tiers, que les terrains de compensation appartiennent à la commune d’Ajaccio, et qu’ils ont fait l’objet d’un conventionnement avec le Conservatoire d’espaces naturels de Corse sont également sans influence sur le manquement constaté, résultant du non-respect de son obligation de gestion de ces terrains, afin d’assurer l’effectivité des mesures de compensation »


CAA Marseille, 3 mars 2023, n° 22MA00886.


https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047260838?init=true&page=1&query=22MA00886&searchField=ALL&tab_selection=all


Dans cette affaire, il s’agissait de terrains de compensation dans le cadre des mesures ERC d’un projet industriel, concernant la préservation d’habitats propices aux spécimens de la tortue d’Hermann


 

En guise de conclusion, le principe de prévention et de correction des atteintes à l’environnement est donc au cœur du droit de l’environnement. Les évaluations environnementales (étude d’impact) sont l’outil technique et scientifique pouvant guider les choix des porteurs de projet et les décisions des autorités publiques. Leur qualité intrinsèque est dès lors primordiale.


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