Romain Lemaire Avocat

Focus sur un principe du droit de l’environnement : le principe du « pollueur-payeur »


 

Focus sur un principe du droit de l’environnement : le principe du « pollueur-payeur »

 

 

  1. Les origines et la place du principe pollueur-payeur dans le droit

 

L’origine du principe du pollueur-payeur est d'inspiration économique. Il a été élaboré dans les années 1970 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

 

Son objectif est de limiter les atteintes à l'environnement en imputant financièrement au responsable de la pollution les dépenses relatives à la prévention ou à la réduction des pollutions dont il pourrait être l'auteur. Les agents économiques doivent ainsi intégrer les coûts externes pour la société que constituent les atteintes à l'environnement.

 

Ce principe a été intégré au droit positif.

 

Il figure dans les textes de l'Union européenne.

 

L’article 174 du Traité instituant la Communauté européenne, figurant au Titre XIX: Environnement prévoit que :

 

« 2. La politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».

 

https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:12002E174:FR:HTML

 

 

En droit français, le principe pollueur-payeur a une valeur constitutionnelle, dès lors qu’il est implicitement contenu dans le texte de la Charte de l'environnement adossée à la Constitution du 4 octobre 1958.

 

L'article 4 de la Charte de l'environnement prévoit que :

 

« Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi. »

 

Il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, modalités de la mise en œuvre de cette règle (Conseil constitutionnel, 5 février 2021, 1n° 2020-881-QPC)

 

 

Au niveau législatif, le principe pollueur-payeur est l’un des principes généraux du droit de l'environnement

 

L’article L.110-1 du code de l’environnement dispose que :
 

« 3o Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur »

 

 

 

  1. La mise en œuvre du principe de pollueur-payeur en droit français

 

Ce principe peut être mis en œuvre sur le fondement de l’article L.110-1 précité du code de l’environnement.

 

Par exemple, en jurisprudence, l'application de ce principe a justifié que les frais d’intervention du SDIS soit mis à la charge du responsable d’un déversement polluant :

 

« L'opération de transvasement dans la citerne de stockage, a provoqué le déversement accidentel de 18 tonnes d'émulsion dans l'environnement immédiat, notamment dans le lit du ruisseau Fénioux situé en contrebas à l'intérieur du site Natura 2000 de la vallée de l'Autize. Cette pollution qui a justifié ce même jour, le 5 octobre 2010, l'intervention du SDIS des Deux-Sèvres trouve ainsi son origine dans l'exécution d'un chantier de travaux publics qui avait été confié à la société SGTP Racaud en sa qualité d'entrepreneur. Dans ces conditions, le SDIS des Deux-Sèvres était fondé, en application du principe pollueur-payeur, mentionné à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, à mettre à la charge de cette entreprise les frais de son intervention. » (Cour administrative d'appel de de Bordeaux, 29 avril 2016, n°14BX02623).

 

 

  • Le principe de pollueur-payeur est largement décliné dans la réglementation environnementale.

 

- Il s’agit au sens des différentes limites d’émissions imposées par le droit.

 

- Le système des permis d’émissions négociables de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (marchés carbone) est un dispositif inspiré de ce principe.

 

- Fiscalement, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) a pour assiette les émissions polluantes, lessives et matériaux d'extraction, ainsi que le stockage, le transfert vers un pays tiers et le traitement des déchets dangereux et non dangereux.

 

 

  • La responsabilité des pollutions est appréhendée par des polices administratives spéciales.

 

  • Pour les activités ou les sites relevant de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), le dernier exploitant est débiteur de l’obligation de remise en état du site pour son usage futur.

 

L’article L.512-6-1 du Code de l'environnement prévoit que :

 

« L'exploitant fait attester, par une entreprise certifiée dans le domaine des sites et sols pollués ou disposant de compétences équivalentes en matière de prestations de services dans ce domaine, de la mise en œuvre des mesures relatives à la mise en sécurité ainsi que de l'adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation du site, puis de la mise en œuvre de ces dernières. Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent alinéa ».

 

 

  • En droit des déchets, la responsabilité et les charges financières incombent aux producteurs ou détenteur des déchets, en application de l’article L.541-2 du Code de l'environnement :

 

« Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre.

Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.

Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ».

 

 

  • En cas de pollution ou de risque de pollution des sols, le Préfet détient des pouvoirs de police particulier. L’article L.556-3 du Code de l'environnement désigne le responsable :

 

  • Pour une installation classée pour la protection de l'environnement ou une installation nucléaire de base, c’est le dernier exploitant de l'installation à l'origine de la pollution des sols
  • Pour les sols pollués par une autre origine, le producteur des déchets qui a contribué à l'origine de la pollution des sols ou le détenteur des déchets dont la faute y a contribué
  • A titre subsidiaire, le propriétaire de l'assise foncière des sols pollués par une activité ou des déchets, s'il est démontré qu'il a fait preuve de négligence ou qu'il n'est pas étranger à cette pollution.

 

 

  1. Le principe du pollueur-payeur se décline également au titre de la responsabilité civile, dans le cadre de la réparation des conséquences d’un dommage.

 

Il s’agit du préjudice écologique qui a été reconnu par la Cour de Cassation dans l’affaire du pétrolier Erika (Cass. Crim., 25 septembre 2012, n°10-82.938).

 

Le principe du pollueur-payeur a servi de base légale à la création du régime de réparation civile du préjudice écologique par la loi du 8 août 2016.

 

Depuis lors, l'article 1247 du code civil dispose que :

 

« Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement. »

 

Par rapport à l'article L.110-1 du code de l'environnement, l’application de ce régime est limitée à l'hypothèse d'un dommage avéré et d’une atteinte « non négligeable ».  Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le terme « non négligeable » qui « n'a pas méconnu le principe selon lequel toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement » (Conseil constitutionnel, 5 février 2021, n° 2020-881-QPC)

 

L’article 1249 du code civil dispose que la réparation du préjudice écologique s’effectue par priorité en nature.

 

En cas d’impossibilité de droit ou de fait ou d’insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts affectés à la réparation de l’environnement. Ils sont versés au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l’Etat.

 

L’évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues.

 

Une application récente de ce mécanisme a été retenu par le tribunal administratif de Paris, qui a reconnu l’existence d’un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement. Il a enjoint l'État de le réparer d’ici le 30 juin 2024.

 

TA Paris, 29 juin 2023, n°2200534/4-1

 

http://paris.tribunal-administratif.fr/content/download/214382/2036590/version/1/file/2200534%20NOTRE%20AFFAIRE%20A%20TOUS.anon_compl.pdf

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Le principe du pollueur-payeur prend des formes diverses en droit de l'environnement, dans l'objectif de faire supporter par le responsable les frais de prévention et de réparation des atteintes à l'environnement.

 

Romain LEMAIRE


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